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Mostar en Bosnie-Herzégovine à travers les yeux d’un papa

Étienne Guertin-Tardif

Lorsque Julie et moi avons appris la venue prochaine de notre garçon, nous nous sommes juré de voyager avec lui, de le traîner un peu partout. Au-delà du désir d’aventure, le voyage était une façon de nous approprier la parentalité, de la définir à notre image. Nous avions aussi la profonde intuition que notre bébé allait lui aussi, du haut de ses quelques mois, pouvoir en tirer quelque chose. Voici le récit de notre premier voyage dans les Balkans avec bébé.

Pourquoi choisir les Balkans?

Partir, mais où? Nous avons vite été guidés vers les Balkans; pour bébé, on y trouve des infrastructures médicales et de courtes distances entre les points d’intérêts. Pour maman et papa, on y trouve, en plus des paysages à couper le souffle, des régions dont la culture et l’histoire sont d’une profonde richesse. Sans compter la pluie quasi inexistante en été…

© Etienne Guertin-Tardif

Bosnie-Herzégovine en famille © Etienne Guertin-Tardif

Avec leurs plans d’eau turquoise et leur Stari Grad (vieille ville) magnifique, nombreuses sont les villes balkaniques qui ont rassasié nos curiosités. Cependant, c’est dans la petite ville de Mostar que notre cœur s’est accroché, en y posant nos trois sacs à dos et notre porte-bébé.

Vieille ville de Mostar © Etienne Guertin-Tardif

Vieille ville de Mostar © Etienne Guertin-Tardif

Dans ce petit texte, je souhaite non seulement revenir sur quelques-unes de nos expériences passées là-bas, mais aussi, à ma façon, la témoigner, lui rendre hommage.

Mostar en Bosnie-Herzégovine à travers les yeux d’un papa

Il est 20 h, nous sommes en juin. Nous quittons le terminus pour rejoindre, à pied, notre appartement. En jetant un coup d’œil aux bâtiments qui bordent notre route, Julie et moi sommes frappés d’un profond malaise. Nombreuses sont les façades défigurées, ruinées, criblées par les éclats d’obus qui ont cicatrisé avec la ville il y a un peu plus de vingt ans. « Mais quel type de parent sommes-nous pour traîner notre bébé dans un décor pareil? » La guerre, que nous ne connaissions que sur papier, prend des airs de réalité.

Rendus à l’appartement, nous rencontrons Nina, notre voisine d’en bas. Dans un anglais approximatif, elle se charge de nous faire visiter les lieux, bien qu’ils ne lui appartiennent pas. Nous avons à peine le temps de nous installer que la jeune maman de 23 ans refait surface, les mains pleines de jouets. « This is for the baby. You keep it. It’s a gift. »

Petite anecdote. Ma copine et moi avons loué cet appartement en fonction de nos critères habituels : prix, emplacement, commodité. Sur place, nous avons réalisé que, depuis la guerre, la ville est scindée symboliquement en deux. À l’est du fleuve Neretva se trouvent concentrés les Bosniaques, musulmans, alors qu’à l’ouest habitent les Croates, catholiques. C’est aux abords des mosquées que nous dormons.

Lorsque l’on est parent, l’aube nous appartient. Dès le lever du soleil, nous en profitons pour arpenter la vieille ville. L’air est frais, bébé peut se mouvoir sans subir les effets de la chaleur. Déserte à cette heure, elle accueillera bientôt les touristes qui, arrivant de Dubrovnik ou de Sarajevo, viennent y passer la journée. Nous prenons plaisir à traverser le vieux pont, bâti au 16e siècle, puis reconstruit avec les matériaux et les techniques de l’époque, suite à sa destruction pendant la guerre, au début du présent millénaire. Nous visitons les mosquées, escaladons leur minaret et sommes heureux de voir notre petit bonhomme capter dans chaque plan un élément de curiosité.

Je peine à décrire Mostar sans accumuler les contradictions : sereine et agitée, sage et téméraire, simple et chargée. La vieille ville et ses habitants qui débordent d’authenticité, la Neretva émeraude, le village de Bladaj et les vignobles de l’Herzégovine à portée de main… On comprend mieux le protagoniste du roman Mostarghia de Maya Ombasic qui, exilé de son pays à cause de la guerre, en est mort de nostalgie.

L’après-midi, nous rentrons pour éviter la température de juin qui avoisine, à son zénith, les 40 degrés Celsius. Lorsque nous osons rester à l’extérieur, les habitants de la ville ne se gênent pas pour nous faire savoir qu’il fait trop chaud pour les enfants de cet âge. Encabanés durant la majeure partie de la journée, ces derniers ne referont surface que tard en soirée, ce qui n’est pas sans bousculer nos habitudes.

Sur divers blogues et sites (dont celui-ci), nous avions lu que voyager avec un bébé facilitait les contacts avec les étrangers. À Mostar, nous avons eu l’occasion d’en prendre la pleine mesure. Je me souviens de cet employé d’un commerce qui, à chacun de nos passages, sonnait une petite cloche en fonte en l’honneur du bébé qu’il était ravi de croiser. Les gens nous abordaient, cajolant sans relâche notre petit bonhomme, alors que les enfants, curieux d’en apercevoir le visage, nous approchaient timidement. Autant dire que les amitiés éphémères que nous avons tissées, c’est à lui que nous les devons.

Chaque soir, Nina nous invite à souper dans son petit 1 ½. Nous avons la chance d’y rencontrer son mari, sa famille, ses amis, ses voisins. Lorsque nous déclinons l’invitation, elle insiste pour nous servir, à toute heure du jour, le café « à la turque ». Entre temps, elle nous apporte des chips, du fromage, des pâtisseries. À l’aide de Google Traduction et de notre créativité, nous échangeons sur tout, dont les enfants, sujet qui s’avère une excellente bouée de sauvetage pour relancer les conversations qui s’épuisent. Nous nous étonnons que leur petite se couche aussi tard le soir, elle s’étonne que notre petit ne mange pas encore tous les aliments qui composent nos repas. Et lorsque la confiance s’installe, nous parlons de la guerre.

Elle est, pour ceux qui l’ont vécu, un sujet incontournable, au fondement de leur vie, quoi qu’ils n’aiment pas en parler. Nous apprenons que le mari de Nina, alors âgé de 11 ans, a croupi pendant 9 mois dans un camp de concentration, avec ses sœurs et son père. Ce dernier en est décédé, d’ailleurs. Leur destin ressemble à celui de tant d’autres dont l’appartenance ethnique (serbe, bosniaque, croate), sans trop d’importance avant la guerre, a façonné, du jour au lendemain, le cours de leur existence et de leur identité. Et moi, dans ma naïveté, je me demande tout bas comment la guerre a pu prendre forme ici, au milieu du quotidien, de l’ordinaire.

Car la guerre est encore là, palpable, quelque part en arrière-plan, tantôt dans les récits, tantôt dans les décors. Mais malgré son poids immense, la vie à Mostar se déroule avec une étonnante légèreté. Et c’est peut-être là que réside son charme indescriptible.

Etienne

 

Étienne Guertin-Tardif
Collaboration spéciale

Passionné de littérature, de science et de tout ce qui fait voyager, Etienne adore partir à la découverte de l’inconnu, surtout lorsque ce dernier lui réserve quelques bières de microbrasserie à déguster sur son passage. Enseignant la sociologie au collégial, Etienne est aussi le papa d’un petit garçon de 9 mois. À sa naissance, il s’est promis qu’ils allaient, ensemble, découvrir le monde.